Avant la nuit... [PV... A l'escargot du 20 ème étage? xD]

Connaître les rues comme le dos de sa main était un avantage certain dans sa course contre la montre, et pourtant, et pourtant, malgré les raccourcis et les grands enjambés, le soleil se couchait et sa maison semblait s’éloignée.
Les rues se faisaient sombres, l’appréhension de devoir ralentir pour ne pas rentrer dans un poteau grandissait et l’idée d’avoir quelqu’un à ses côtés ne faisait absolument rien pour le calmer. Dans sa tête, l’idée avait été brillante, mais à présent il trouvait cela ridicule.
Il allait devoir se fier à elle, une fille stupide qu’il ne connait qu’à peine. Il n’a pas peur, non, bien sûr qu’il n’a pas peur, il en est incapable. Il n’a pas peur, mais son cerveau fonctionnait quand même pour trouver des horreurs, le faire douter de sa décision.
Ambroise la regarda par-dessus son épaule afin de conforter sa décision. Non, elle ne lui ferait rien, cette fille. Bête, mais pas méchante. Il était plus fort, supérieur, et elle le savait. Même par la ruse, elle ne l’aurait jamais.
La fille s’accrocha à sa main ; il doute un instant, puis en analysant la situation, se rendit compte que c’était inoffensif. Elle continuait de le suivre, tranquillement, et même s’il avait de plus en plus de mal à la discerner, il connaissait l’expression de son visage. Allyriane n’était pas quelqu’un de méchant à la recherche d’une vengeance ou un quelconque amusement ; ils étaient deux personnes bien différentes.

« Je ne suis pas stupide. Pourquoi tu m'as fait mal si tu me le rends quand même. Pourquoi pas maintenant. Pourquoi tu ne vois pas. Ça n'a aucun sens. Tu n'es pas logique. Tu dis n'importe quoi. »

Sa voix est si douce et basse de nature qu’il doit se concentrer pour l’entendre. Il se demandait pourquoi il faisait encore l’effort, fatigué de l’écouter déblatérer sur des sujets qui n’ont plus d’importances. Elle n’était pas méchante, mais ça ne l’empêchait pas de lui taper sur le système.
Ambroise ne lui répondit pas, pas de suite du moins. Il tourna à droite, sourcils froncés, yeux plissés. Les lampadaires n’étaient pas encore allumés, le soleil se cachait et tout devenait tellement flou et indiscernable devant ses yeux qu’il avait du mal à se concentrer sur autre chose.

Il se frotta les yeux de sa main gauche, ralentissant par la même occasion le pas considérablement. Ca ne servait plus à rien, il allait perdre de toute façon, alors autant éviter de se perdre dans les rues ou d’avoir un accident malencontreux. Aussi têtu qu’il soit, Ambroise savait parfaitement que dans ce genre de situation, il n’avait plus le choix. Fichue maladie.
Sa main droite effleura celle gantée d’Allyriane sur sa manche, avant de l’attraper délicatement, ses doigts se refermant sans pression sur ceux de la jeune fille. Il était temps pour elle d’être finalement utile, et peut-être qu’alors elle allait arrêter de parler ; il était trop fatigué pour lui répondre.

« Dit moi quand il y a des obstacles, intersections, ruelles, absolument tout ce que tu vois qui peut servir de repérage. »

Avec un peu de chance, les instructions ne seraient pas trop compliquées pour elle.

Allyriane n'aimait pas parler seule mais là encore, elle n'aimait pas vraiment parler tout court. L'absence de réponse la frustra comme l'on s'ennuie d'un caillou qui ripe contre la semelle de sa chaussure et l'instant d'après, déjà, elle ne s'en préoccupait plus. S'acharner à avoir des réponses était autant son genre que se renfermer sur elle-même ; des deux attitudes, elle restait malgré tout nettement plus familière à la seconde. Réfléchir dans sa tête lui semblait plus sûr et économe. Elle avait beau vouloir comprendre, atteindre leur cible et récupérer son collier restait la priorité absolue. Le confort de sa maison lui manquait et son lit au moins ne risquait pas de lui voler quoi que ce soit, songea-t-elle gravement.
Quoi qu'il ait déjà fait disparaître des petites choses, elle savait que ce n'était pas conscient et uniquement dû à sa propre maladresse. Ambroise n'avait pas cette excuse. Il parlait et était donc capable de méchanceté gratuite.
Il le lui avait prouvé sans le moindre mal.
Le silence, sage et prévisible, se réinstalla doucement entre eux. Elle l'aimait bien. Du moins y était-elle habituée. A défaut d'une valeur de référence plus sûre, elle considérait que ça devait revenir à l'aimer. Pour les mêmes raisons, apprécier le garçon était hors de question – et quoi qu'elle le suive sans broncher, trop de pensées emmêlées dans sa tête pour encore songer à protester, elle n'était pas à l'aise ou satisfaite de la situation pour autant. Il avait son collier et pour ce qu'elle en savait, elle ne le reverrait peut-être jamais. Il avait l'avantage physique. Il la méprisait aussi, probablement, et même la logique la plus basique ne pouvait pas s'appliquer à ses intentions ou ses projets. S'il décidait de le garder « parce que », qu'était-elle censée faire ?
Tout ce chemin pour rien. Son souffle se bloqua dans sa gorge à cette pensée.
Comme il avait ralenti, ses petites jambes arrivaient mieux à suivre et elle en fut reconnaissante sans le formuler à voix haute. Aussitôt qu'il posa la main dans la sienne, en revanche, elle sentit son souffle s'enrayer de nouveau.
Regard dirigé droit devant elle, elle serra les doigts machinalement.

« Dis moi quand il y a des obstacles, intersections, ruelles, absolument tout ce que tu vois qui peut servir de repérage. »

Ha.
Le pourquoi du comment il ne voyait pas – ou trop peu pour se diriger lui-même – lui échappait encore, mais elle était prête à faire une croix sur ses questions pourvu qu'ils arrivent à destination. L'abandonner là ne l'aurait en d'autres circonstances pas dérangée, mais il avait son bijou en otage et lui, elle ne voulait pas le laisser. Hors de question.
Alors observer, bien sûr. Elle pouvait faire ça.

« Il y a une rue, à gauche, lâcha-t-elle d'une voix qui se voulait claire à défaut d'être forte. Un peu plus loin. »

Ne sachant pas trop ce qu'ils cherchaient au juste, elle se contenta de citer tout ce qui sortait de l'ordinaire à ses yeux ; la pénombre n'aidait pas, mais elle voyait suffisamment pour marcher sans risquer de tomber. Elle pouvait faire la boussole. Les yeux.
Une échoppe avec un joli motif en guise d'enseigne ; un croisement ; une maison aux fenêtres couvertes de fleur.

Et qu'est-ce qu'il voyait, lui, qui diffère de ce qu'elle pouvait lui décrire ?