Après avoir franchi une volée de marches, passé sous une marquise soutenue par des colonnes corinthiennes, vous voilà à l'intérieur : la lumière entre par deux immenses fenêtres qui surplombent la porte et se teinte d'un orange doré en soirée, lorsque le soleil frappe le vitrail circulaire en face. Deux immenses escaliers encadrent une porte massive et ouvragée à la poignée de bronze. Vous y reconnaissez les armoiries de la famille Grimm. Ils mènent à une galerie où se retrouvent ces mêmes colonnes et de nombreux miroirs, point de convergence de tous les corridors du premier. Le sol est de marbre crème ; un lustre gigantesque luit de diamants depuis le plafond loin au-dessus de votre tête où une fresque offre ses délices à votre regard.

Vous avez tant tourné que vous vous êtes retrouvés dans la partie la plus occidentale du palais. Si ce n'était pour ce détail, un coup d'oeil inattentif pourrait vous tromper : les logements de l'armée ressemblent de l'extérieur en bien des points à ceux des domestiques. L'agencement reste différent et sensiblement plus confortable. Si les habitants de la capitale n'y logent pas, ils ne semblent pourtant jamais tout à fait vides. Quatre étagères, deux armoires, quatre lits, des armes pendues aux crochets, les armoiries de Moria ici, là.

Les portes de bois simples s'alignent sur le mur : une, deux, trois, vingt. L'une d'entre elles est restée ouverte, vous y risquez un oeil. Un lit au carré, une étagère au-dessus, une petite commode où trônent quelques effets personnels, rien de plus. quatre jumeaux, l'un peut-être couvert d'un drap fantaisiste, lui tiennent compagnie tandis que, séparés de leur exact reflet par une allée face à vous au bout de laquelle s'ouvre une fenêtre à croisillons. Du matin au soir, ils semblent bien vides et silencieux. Pourtant, le soleil couchés, ils fourmillent de conversations.

La paix de papier qui règne sur Moria agonise et n'a jamais suffi à désemplir cette salle hérissée de piques, de hallebardes, d'épées, d'arcs, d'arbalètes, de flèches, de carreaux. Les murs brillent d'un acier rutilant. Un faux-mouvement coûtât jadis la vie à un valet et depuis, les mauvaises langues prétendent entendre la nuit de la ferraille s'écrouler.

La mosaïque serrée coure sur toute la longueur de la salle : une scène de bataille épique où un chevalier, invisible sous son armure au plastron d'argent, lève d'une main une épée ruisselante de rubis et de l'autre, porte fièrement l'oriflamme de Moria, une coupe figurant deux visages sertie d'une couronne. Sur son heaume sont gravée les armoiries de la famille Grimm. Au mur, flanqués de bancs rudimentaires, brûlent des chandelles -trop haut pour gêner le combat. Une galerie où pendent des tentures frappées du sceau du royaume serpente sur toute la surface ouest, à gauche de la porte. Les mannequins s'hérissent de flèches lorsque l'infanterie cède la place à l'archerie. Combien de victimes imaginaires ont-elles péri sous les assauts de ces guerriers ?