Sweet Day.♥[PV Mélia, et qui veut vient!XD]

Mélia était aussi bête et irresponsable qu’un balai était capable de danser une gigue : elle en avait vu beaucoup, dans sa courte vie, et aucun n’avait fait le début d’un pas de danse pourtant. Et à nul moment il ne lui serait venu à l’esprit une idée aussi saugrenue –contrairement à son interlocuteur qui, de son côté, semblait prendre un plaisir démesuré à débiter les plus insanes âneries imaginables. Pure perte de temps que de tenter de le convaincre de la raison de ses propos, cet idiot devait en être parfaitement au fait, sans pour autant que cela changeât quoi que ce fut à son comportement. Comportement qui commençait en outre à lui taper sur le système ; ce retard qu’elle prenait sur son emploi du temps était une véritable catastrophe pour l’équilibre bien pesé den sa journée –sa vie, réglée comme une horloge, ne souffrait pas que l’on s’amuse à pousser sur ses aiguilles. Un imperceptible froncement de sourcils ici, un regard fuyant par-là, un pas un peu plus rapide que de coutume peut-être, étaient autant de signes capables de trahir son agacement grandissant. La servante ne cherchait en outre pas à les dissimuler sous des couches d’un mutisme lassé ; elle leur donnait libre cours plus que quiconque autre et c’était sans doute là le plus inquiétant chez Alansez.

« Enfin, je veux dire... On partira qu'une fois que tu m'auras fait un beau et grand sourire et m'avoir dit combien tu m'apprécies. »

Elle faillit lui rétorquer à brûle-pourpoint lui avoir déjà confié qu’elle ne l’appréciait pas du tout et que remettre ainsi sa sincérité en doute n’était pas franchement productif, au lieu de quoi elle se contenta de river sur « lui » son regard de sable sans un mot. A trop l’avoir côtoyé, son mode de fonctionnement avait fini par lui devenir familier ; « il » ne prendrait pas non comme une réponse, et ignorerait d’ailleurs tout ce qui pouvait de près ou de loin s’y apparenter. Entre sa proverbiale franchise, sa logique, son amour de l’éthique, la pauvre était tiraillée –et dire qu’un inconnu aurait pu la dire aussi vide qu’une coquille ! Pour le sourire songea-t-elle, « il » pouvait bien aller voir ailleurs, car elle n’avait aucunement l’intention de lui en offrir un. Ses parents, longtemps, avaient trépigné pour en avoir plus souvent ; en vain. Ce n’était pas un luxe, ce n’était pas seulement particulièrement joli : c’était juste rare. Mélia ne comprenait pas pourquoi cet imbécile faisait des pieds et des mains pour si peu. Pas plus en vérité qu’elle ne cherchait à comprendre pourquoi elle ne se pliait pas le plus simplement du monde à ses exigences, quelque ridicules qu’elles fussent.

En temps normal peut-être l’aurait-elle fait. Pas qu’elle se posât la question du reste, certaine déjà que quoi qu’il en coutât elle ne le ferait pas. Les raisons, les explications lui passaient comme toujours loin au-dessus de la tête. Les choses se passaient ainsi, très bien ; une montre fonctionnait, et n’en fonctionnerait ni mieux ni moins bien si l’on en connaissait tous les rouages. Après tout, elle n’était pas horlogère. Elle ne sourirait donc pas à « monsieur Matthew », et espérait sincèrement pouvoir rentrer dans les plus brefs délais.

« Je ne vous apprécie pas plus que nous ne sommes « bêtes ». Pouvons-nous y aller ? »

Au fait de son échec avant même de devoir lui faire face, Mélia sut qu’il devenait nécessaire de changer de tactique. Un sourire, « il » n’en aurait pas. Mais si en appeler à son bon sens ne fonctionnait pas, ne lui restait qu’à en faire appel à son irrationalité profonde et son sentimentalisme vaseux. Quatre mots.

« S’il vous plait. »

Se contenir, voilà la conduite que dû s’imposer Alansez pour ne pas écraser panier, victuailles et étals sur la tête creuse de l’abruti qui lui faisait face. D’un naturel calme et docile, nul n’aurait pu lui reprocher un manque de quoi que ce fut si ce n’était parfois d’optimisme. Ce qu’elle perdait ainsi se retrouvait en efficacité et ne la rendait que plus conciliante. Sa patience était d’ange et son silence d’or ; sans doute étaient-ce là les qualités qui la rendaient d’une compagnie si appréciable aux maîtres et misanthropes. « Monsieur » demandait la lune ; « Monsieur » n’avait qu’à la décrocher lui-même s’il lui plaisait de le faire, elle, ne se souciait guère de problèmes si triviaux. Ses élucubrations la fatiguaient, sans parler de sa façon de gesticuler pour ne rien faire qui la lassait plus que de coutume. Ainsi percluse de l’ennui grandissant que ne manquait d’occasionner aucun retard, elle darda sur le visage benêt du maître un regard qui, plus que la couleur du désert, en avait toute la douceur et la sécheresse.
Premièrement parce qu’il n’y avait absolument pas de quoi se réjouir, secondement parce que sa voix n’avait en rien changé, troisièmement parce que le second degré ne paraissait jamais être une option pour elle et enfin, surtout parce qu’elle était fondamentalement en retard et que s’ « il » ne tenait pas à se contenter d’un vulgaire morceau de gruyère en guise de repas il était dans leur intérêt à tous deux qu’elle pût s’en aller. La notion même d’intérêt toutefois ne faisait carillonner aucune fibre d’intelligence chez ce singe ce qui, une fois encore, n’étonnait plus Mélia. L’homme s’habituait aux bonnes comme aux mauvaises choses ; dans son cas, les mauvaises avaient parfois un peu de mal à passer et s’intégrer au paysage. Ce « mais », annonceur funeste d’une énième objection, était un messager quotidien qui n’avait de cesse d’apporter à la jeune fille des lettres de condoléances. Ne lui restait plus qu’à clamer derechef adieu à veau, vache, cochon, couvée et attendre que l’orage ou jeunesse se passât –quelque tentée qu’elle fût de brûler elle-même foin, ferme et étable.

« Il » ne bougerait pas d’un pouce. La situation avait au moins le mérite d’être claire. Par respect des conventions, la servante se tint très droite et chercha une solution qui n’aurait rien exigé de tel de la part de l’imbécile. Lui fausser compagnie, pas vraiment. Rentrer et faire ce pour quoi elle était payée en revanche sonnait joliment à ses oreilles qui entendaient tout mais ne traitaient que ce qu’elles voulaient bien traiter en matière d’informations. Sans doute avaient-elles eu leur quota d’inepties pour ce jour. La jeune fille se tourna à demi, en quête d’une échappatoire. Y avait-il moyen, en faisant le tour, soit dit en remontant la rue et en prenant à gauche pour descendre, de parvenir à destination ? Sans doute. Cela eût-il été plus rapide que de convaincre « monsieur Matthew » de lever le camp ? Au vu de la distance à parcourir et de la détermination du « garçon », douteux. Un infime soupir, en bien des points identique à une simple respiration, se faufila entre ses lèvres. Les secondes étaient impitoyables et les minutes, cruelles.

« J’y vais », déclara-t-elle d’un ton qui ne souffrait aucun appel.

Mélia était à bout de nerfs, ce qui ne lui arrivait pas souvent. L’étrangeté de l’affaire résidait en ce que cette affaire ressemblait à n’importe laquelle des autres et que la servante savait qu’au final ses tâches seraient pliées en temps et en heure en dépit des bêtises des jumeaux et que cette facétie n’était en rien la pire qu’elle eût connue, moins encore la pire qu’elle connaîtrait, venant de cet être froid, cruel et souriant –et que malgré ces bonnes considérations, elle était passablement énervée ce qui, là encore, ne lui arrivait pas souvent. Plutôt que de se perdre en palabres, elle esquissa un pas sur le côté et recula aussitôt, baissa la tête, releva la tête. Parlons de contretemps, statua-t-elle en son for intérieur ; quelle belle journée, vraiment. Etre fatiguée ne l’avait jamais empêchée de passer outre les contrariétés et d’effectuer son travail impeccablement. Cependant, le moment était mal choisi pour se faire porter pâle.

« Monsieur, si vous pouviez jouer plus tard. Rentrons. »

Les sourcils imperceptiblement froncés, elle s’approcha de « Matthew », bien décidée à rentrer avant que le soleil ne leur tapât plus sérieusement sur la tête. Le sac lui glissa des bras. Et si Mélia avait cru au mauvais œil eh bien, assurément, elle eût déclaré que ce n’était pas sa journée.

« Pardon », daigna-t-elle articuler en se baissant pour les ramasser.

« J’y vais »

Le miracle n'avait pas duré. Yeux écarquillés et sourcils levés, Matthew ne put que hocher la tête de gauche à droite, fermement campé sur ses deux jambes. Où est-ce qu'elle croyait pouvoir aller sans lui avoir donné ce qu'il voulait ? Loin de se trouver insupportable, il pensait maintenant que la servante ne faisait pas beaucoup d'efforts pour voir la fin de cette dispute; si elle voulait vraiment rentrer faire la cuisine pour le repas, elle lui aurait offert un joli sourire depuis longtemps. Pas encore assez incommodé par la chaleur ou par l'immobilité pour s'en plaindre, il ne lâcha pas prise et fit un pas sur le côté en même temps que la domestique, histoire de lui montrer qu'il n'était pas prêt à la laisser passer. Lui, ça ne le dérangeait pas de poireauter encore une ou deux en plein milieu de la rue, puisqu'il n'avait strictement rien d'autre à faire. La vie était ennuyante quand les cours ne nous tiraient pas par le col et qu'il n'y avait aucun ami de disponible pour s'amuser ! Alors amusons nous aux dépends des autres. Il avait le malheur d'avoir Mélia sous le coude, et Mélia avait le malheur de ne pouvoir que difficilement lui désobéir. Elle devait pourtant savoir que ses parents ne lui auraient pas reproché quelque surdité opportune en sa présence; si on était pas ferme avec Matthew, il ne se lassait pas.

Il était donc probable que le jeune garçon reste à harceler Mélia jusqu'à ce que sa tête carillonne douloureusement pour lui signaler qu'il avait attrapé la pire insolation de sa vie. Ou qu'il se souvienne subitement qu'il avait quelque chose de très urgent à faire, mais c'était peu probable.
Il n'avait rien à faire, sinon il ne se serait pas tant ennuyé ! Logique imparable.

« Monsieur, si vous pouviez jouer plus tard. Rentrons. »

Matthew s'apprêtait à rétorquer, bouche déjà ouverte pour laisser fuser sa plainte, que c'était maintenant qu'il était en mal de divertissements et que plus tard il n'aurait de toute évidence pas le temps. Mais Mélia laissa tomber son sac à terre et ce fut une exclamation intriguée qui trébucha sur ses lèvres à la place des mots choisis. Il resta là debout un instant après qu'elle se soit excusée, perplexe, puis se baissa aussi pour l'aider à ramasser ce qu'elle avait fait tomber, presque comme un réflexe. A moins qu'elle n'en profite pour le pousser et s'en aller à travers rues à toute vitesse, ça ne changeait rien qu'il reste debout ou non. Ce brusque changement de position l'étourdi et il vit des petites lumières danser devant ses yeux, tandis que des milliers de fourmis se complaisaient à lui dévorer les jambes. Pas très agréable. Il se mordit l'intérieur des joues, lançant un bref regard meurtrier au soleil qui tapait trop fort.
Pour une fois dans sa vie, un peu de la neige d'Hatès n'aurait pas été de trop, histoire d'adoucir l'atmosphère étouffante de la rue.

« Maiiiis Mélia, tout à l'heure je serai occupé et si je ne le suis pas on me forcera à l'être, protesta-t-il avec une pensée pour toutes les idées saugrenues que ses parents pouvaient avoir au moindre « je m'ennuie », c'est rare pour un homme occupé comme moi d'être aussi libre que maintenant. »

Pour une fois qu'il était vraiment libre, c'était pas de chance. Il aurait presque été tenté de se glisser dans le salon de Liz pour se moquer de son manque de talent s'il n'avait pas été persuadé que ça lui serait retombé dessus immédiatement. Ses mains volèrent, formant une suite de gestes inutiles destinés à appuyer sa détresse et son point de vue. Un jour, il allait éborgner quelqu'un avec ses mimiques.

« En plus, c'est juste un sourire, c'est pas compliqué ! Tous les êtres humains peuvent le faire ! »

Et il s'attendait presque à entendre Mélia prendre un ton de voix mystérieux et lui confier qu'elle n'était pas humaine. Chassant ce scénario un peu trop fantastique de sa tête, il se releva en ordonnant à ses jambes de ne pas vaciller. Un coup d'œil à la rue, un coup d'œil aux maisons, et son regard brun s'était reposé sur Mélia, presque suppliant.
Allez, quoi...