Joker in dinning room.

Rywan aimait la compagnie. Ou plutôt détestait-il la solitude, si on voulait être tout à fait exact. Se retrouver dans un silence pesant, entouré d'objets inanimés et froids, il détestait ça. En fait le stratège de Moria ne supportait d'être complètement seul que quand il travaillait, puisque pour le faire correctement il devait être concentré. Calculer, tenter de se mettre à la place de l'ennemi et anticiper de quelconque mouvements quand deux ou trois personnes riaient gaiement à côté de vous, c'était tout à fait insupportable. En revanche quand il ne travaillait pas on ne le trouvait que rarement seul. Soit il allait parler avec quelques amis, soit il discutait avec des personnes qu'il croisait dans des couloirs, soit même il parlait avec une quelconque servante qui serait venu pour ordonner quelque peu ses appartements. Rester silencieux, sans dire le moindre mot, c'était quelque chose de très compliqué pour le jeune homme aux cheveux bruns. Il avait en fait un mal fou à rester plongé dans ses pensées quand c'était inutile-ou que ce n'était pas vital, en tout cas. En ce sens il n'arrivait pas à comprendre ceux qui recherchaient la compagnie du silence et du vide, ceux qui fuyaient les contacts humains et qui semblaient mal à l'aise dès qu'ils étaient trop entourés. Oh, il comprenait bien que certaines personnes étaient timides, et même s'il avait du mal à se représenter ce qu'on pouvait ressentir quand on l'était il l'acceptait ; mais il n'acceptait pas qu'on puisse détester ses homologues. Il ne parlait pas de détester une race quelconque, mais de détester les être vivants dans leur ensemble. De même, il trouvait inacceptable que l'on passe ses journées seul, à déprimer ou à attendre la mort. Oui, c'était un fait, tout le monde allait mourir ; quand on était comme lui un militaire de profession, on était bien placé pour le savoir et encore mieux pour s'en rendre compte. Mais c'était bien ça qui poussait les gens à vivre aussi heureux que possible à la base, non? De savoir que ce qu'ils vivaient était éphémère et qu'il fallait en profiter. En tout cas Rywan Lie pensait de la sorte, et il avait du mal à s'imaginer d'autres modes de pensées que celle-là. Mais bien sûr il ne pouvait pas se mettre dans la tête des gens qui trouvaient la vie trop douloureuse pour être vécue, et il aurait été malvenu de sa part de juger. Mais entouré de personnes comme celle qui étaient présentes maintenant, il se sentait parfaitement à l'aise. Et il était intimement persuadé qu'en parlant tout les jours à tout le monde au château, il pouvait remonter le moral de certains-ou l'empêcher de chuter, au moins.

Stupide? Peut-être, mais il aimait à y penser.

Le jeune homme aux cheveux noirs poussa un très bref soupir, prêtant une attention moindre à ce qui se passait dans la salle. Le stratège répondit au salut de la Princesse d'un léger signe de tête quand elle décida de sortir, ce léger sourire toujours accroché sur ses lèvres. Oui, il ne doutait pas qu'elle avait beaucoup à faire et il ne comptait pas la retenir, de toute façon. S'il leur avait demandé s'ils comptaient sortir c'était qu'ils avaient tout à fait le droit de le faire, ils étaient de toute façon libre de leurs allées et venues dans le château au même titre que sa propre personne. En fait, un peu tout le monde l'était ; à moins qu'ils n'aient été de simples subalterne dont il aurait quémandé la présence, aucune des personnes ayant été dans cette salle depuis quelques minutes n'avait à lui obéir. Il ne lui serait bien sûr jamais venu à l'esprit de donner un quelconque ordre-ou quoi que ce soit y ressemblant-à la Princesse, qui jouissait d'une autorité totale sur tout ses sujets dans ce royaume. Le Conseiller n'avait pas plus de comptes à lui rendre, leurs domaines d'exécution étaient assez éloignés-même s'il arrivait que Witloof ait à faire dans le domaine militaire. Le Clown..., et bien, c'était le Clown justement ; Rywan ne voyait pas bien quel genre d'ordres il aurait pu lui donner, surtout qu'il l'aimait bien. Quant-au cousin de la Princesse, c'était le cousin de la Princesse : faisant parti de la famille royale il ne devait pas avoir de comptes à rendre à beaucoup de monde non plus. Enfin, techniquement. Il ne doutait pas qu'il devait être forcément assez désagréable pour certains adultes de recevoir des ordres d'un enfant de douze ans, aussi mature paraisse-t-il. D'ailleurs le jeune Stratège aux yeux bleus devait avouer que c'était parfois assez étrange de comparer l'attitude de Shieru Phantomhive avec celle d'enfants de son âge. Bien que certains soient très matures de même pour leur âge, leur attitude différait totalement de celle du jeune garçon à l'unique œil bleu. Non pas que ce soit une tare, chacun avec son caractère et qu'il soit différent de celui des autres ne signifiait pas pour autant qu'il était anormal.

Lorsque Rywan détourna de nouveau les yeux, ce fut pour sourire à la réplique du Clown aux cheveux de neige. Il était appréciable que tout le monde dans ce château ne prenne pas tout au premier degré, sinon il était certain que le jeune homme se serait ennuyé à en mourir. Enfin, venant du Clown de la Princesse il aurait été assez malvenu de tout prendre sérieusement et avec ennui ou agressivité. Ça n'aurait plus été un clown, dans ce cas. Il ne répondit cependant rien, jugeant inutile d'allonger la conversation sur des phrases sans intérêts plus encore. Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures, comme on dit ; au bout d'un moment ça pouvait devenir vraiment agaçant. Or porter sur le système n'était pas le but de Rywan en général, mis à part s'il tenait vraiment à vous faire sortir de vos gonds. Il ne fallut pas longtemps à Rywan pour deviner que Slogan allait partir à son tour, et il le regarda tout d'abord s'éloigner sans rien dire, le visage vide de la moindre expression. Ce n'est que quand il lui fit un simili-salut militaire qu'il sembla se réveiller, ne pouvant s'empêcher de laisser s'échapper un sourire sarcastique. Le stratège porta sa main droite à hauteur de sa tempe, lui rendant son salut avant qu'il ne décide finalement de s'en aller.

Une fois qu'il ne resta plus que lui et le jeune Phantomhive, la salle parut terriblement plus silencieuse que quelques instants auparavant. Ce qui n'avait rien d'étonnant puisque Rywan ne disait rien pour l'instant et que le jeune garçon au cache-œil à côté de lui n'était guère quelqu'un de loquace. Et sans se mentir, il était difficile pour deux personnes d'égaler le débit de cinq, c'était évident. Surtout quand on savait que parmi les trois absents il y en avait deux qui parlaient beaucoup, et pas forcément pour dire des choses très intéressantes à vrai dire. La Princesse elle lui avait toujours semblé plus calme, mais entre connaître quelqu'un et croire connaître quelqu'un il y avait un fossé parfois infranchissable. Il ne savait d'elle que ce qu'elle était publiquement, et doutait plus que fortement pouvoir jamais dire comment elle se comportait avec des privés. Comme son cousin, par exemple. Enfin c'était un peu toujours comme ça parmi les hautes figures de la société ; on connaissait bien souvent leur rôle et leur caractère en quelques mots, mais rarement plus. On savait ce que la personne voulait bien laisser voir, finalement. Rien de plus. Le reste était confié aux amis seuls, à l'Âme-sœur si elle existait ou bien encore à la famille. Rywan avait en tout cas rencontré bien peu de personnes qui étaient exactement pareil dans le cadre de leur fonction et au naturel. Lui même était complètement différent quand il travaillait et quand il déambulait dans les couloirs du château, n'importe qui l'ayant croisé pouvait en témoigner. Le stratège était sérieux et travailleur, méticuleux, voire un brin agaçant parfois quand tout n'allait pas comme prévu. Le jeune homme était gai et rieur, amusant et volage ; ils n'avaient pas grand chose en commun et c'était pourtant une seule et même personne. Il ne savait pas s'il en était de même pour tout le monde, tout cela dépendait sans doute aussi des exigence de leur travail.

"Oh, surtout, ne vous gênez pas pour moi si vous avez quelque chose d'autre à faire. Je vais rester ici encore un petit moment."

Le jeune homme aux trop longs cheveux noirs détourna lentement son regard dans la direction du jeune Shieru, avant de ne sourire légèrement. Quelque chose d'autre à faire..., heureusement que non, il n'avait rien à faire. Rien qui demande d'être fait avant le dîner, en tout cas. Et c'était rassurant, quelque part.

«Je comptais à vrai dire vous déranger encore, au moins jusqu'à ce que je puisse marcher sans risquer de tomber sur tout ce qui bouge ou à l'air de bouger, répondit-il en s'asseyant à la table, sur la chaise qu'il occupait habituellement lors des repas-à savoir assez proche de la Princesse-à cause de son rang-mais plus loin que tout ceux qui avaient plus d'importance que lui. Mais permettez moi de vous retourner la remarque, ne vous sentez pas obligé de rester.»

Ce n'était nullement méchant, et toujours dit avec ce même ton de voix un peu léger qui caractérisait Rywan Lie. Quand il était sérieux on pouvait le sentir, or là il ne l'était pas. Il ne le serait pas avant le lendemain d'ailleurs, selon toute vraisemblance-enfin, s'il avait réussi à bien dormir cette nuit. Ce qui n'était pas gagné puisqu'il ne savait même pas ce qui perturbait son sommeil..., combattre un ennemi invisible était aussi difficile que de contredire quelqu'un qui ne disait que 'Parce que'.

«Excusez ma curiosité, mais serait-il trop indiscret de vous demander pourquoi vous êtes habillé de la sorte? Demanda-t-il en s'accoudant à la table, se retournant vers son interlocuteur. Même si j'imagine que ça a un rapport avec votre entrée fracassante, de toute façon.»

Le silence qui s'était installé sans que personne ne s'y attende était loin d'être désagréable pour Shieru. Préférant les atmosphères calmes et silencieuses aux lieux festifs et débordant de musique. Mais si c'était lui, qui pour une fois avait brisé le silence, ce n'était aucunement parce qu'il avait envie de papoter. Le but était plus penché vers le fait de mettre Rywan Lie dans une situation qu'on pouvait qualifier de gênante. Mais maintenant qu'il y réfléchissait, il lui semblait que cela était profondément stupide, car sûrement fallait-il vraiment le vouloir pour le mettre dans une gêne apparente. Toutefois, le Noble savait et comprenait parfaitement que ce soit difficile de parler avec un enfant de la famille royale, et encore plus quand celui-ci ne résonne que très rarement comme quelqu'un de son âge. La dernière fois qu'on lui avait fait comprendre ça, on lui avait donné l'exemple de "c'est comme engager une conversations avec un chien doué de parole"... Si par là, cela voulait dire que c'était inhabituel et vraiment surprenant, il était inutile de préciser que l'animal était un chien... De plus, l'idée était là, Shieru l'avait parfaitement compris, même si on avait sous-estimé une fois de plus son mental avec un exemple aussi caricaturé. Avec une famille comme la sienne qui avait enduré beaucoup trop de morts voulues par les autres, il avait appris à se méfier de tout le monde. Si ses parents avaient été tué parce qu'ils étaient détestés par plus d'une personne, le jeune Noble ne faisait pas exception à la règle. Logique, il était leur enfant unique, et avait échapper à la mort une fois. Bien heureusement, il n'était pas sûr et certain qu'il mourrait assassiné mais même si quasiment tout le monde était charmant à son égard, il savait que certains disaient du mal de lui dans son dos. Après ça, il n'accusait personne en particuliers, tant qu'il n'avait pas de preuve évidente, il ne croyait en rien. Aussi, son caractère était proche de celui de Saint-Thomas... Quand à la personne en face de lui, à part les grandes lignes et ce qu'il voulait bien montrer, il en ignorait tout d'elle.

«Je comptais à vrai dire vous déranger encore, au moins jusqu'à ce que je puisse marcher sans risquer de tomber sur tout ce qui bouge ou à l'air de bouger.»

Shieru haussa un de ses fins sourcils gris. D'un côté, c'était sûrement une bonne initiative... Mais le borgne l'interpréta totalement à l'envers, car au contraire, c'était lui qui l'avait déranger en lui tombant dessus. Le jeune homme aux longs cheveux sombres se tourna vers lui avant de lui sourire le plus simplement du monde. L'aristocrate le suivant du regard, il se dirigea vers la longue table encore libre de tout plat et prit place à ce qui semblait être sa chaise sur laquelle il avait l'habitude de s'assoir durant les repas.

«Mais permettez moi de vous retourner la remarque, ne vous sentez pas obligé de rester.» Reprit-il.

Le jeune garçon fit semblant de l'ignorer avant de s'asseoir en face de lui, s'appuya légèrement contre le dossier, croisa les bras et lui adressait un sourire, toutefois différent de celui auquel il avait eu droit. Ce n'était certes pas sa place, mais communiquer avec quelqu'un qui n'est pas forcément à côté de vous est plutôt difficile, même si une seule et unique personne vous sépare, le brouhaha se charge à lui tout seul de rendre une conversations impossible. Qu'il se souvienne, les deux jeunes hommes présents dans la salle à manger n'étaient pas si éloignés lorsqu'ils étaient à table, et pourtant à part quelques futilités échangeaient, Shieru n'avait aucuns souvenirs d'une grande discutions avec son ainé. Et franchement, le jeune garçon à l'unique œil bleu le regrettait un peu, car il n'aimait pas ignorer les personnes qui lui semblait un minimum intéressantes. Même si son interlocuteur avait une réputation de coureur de jupons et se donnait des airs bon enfant, il en restait stratège et avait donc un sens de raisonner supérieur à celle du premier venu. Pourtant, personne ne semblait s'en rendre compte... Et même si le dernier Phantomhive ne connaissait que la part joyeuse et extravertie de Rywan Lie, il s'en contenterait pour mieux le connaître. De plus, si Shieru voulait quitter cette pièce, il le ferait sans hésiter, mais en aucun cas il se sentait obligé de rester, sauf cas exceptionnel. Et dans ce cas là, il était tout à fait volontaire de rester ici. En fait, plus il en passerait, mieux ce serait, tant qu'il arrivait à se changer en temps et en heure avant le repas... D'ailleurs, en parlant de se changer...

«Excusez ma curiosité, mais serait-il trop indiscret de vous demander pourquoi vous êtes habillé de la sorte? Même si j'imagine que ça a un rapport avec votre entrée fracassante, de toute façon.» Demanda le tacticien en s'appuyant sur la table lisse.

Durant une demie-seconde, Shieru faillit se lever et repartir comme il était entré. Mais maintenant qu'il avait pris place, il se doutait bien qu'il serait mal vu, encore plus que si il lui avait donné raison à sa première remarque. Le cousin de la reine se tortilla un peu sur son siège, légèrement mal à l'aise. Il cogna les talons de ses bottines contre le sol dur et propre de sous la table, se rendant compte qu'il était vrai que sa tenue n'était pas vraiment appropriée... Mais ça au moins, il savait le mettre sans l'aide de personne. Son interlocuteur était stratège, sûrement aurait-il eu une meilleur idée que celle qu'il avait eu pour échapper à une simple servante attentionnée. Mais finalement, il redressa la tête avec un petit soupir. Il pouvait bien le lui dire après tout, si ils avaient été plusieurs dans la salle, Rywan aurait pu attendre toute sa vie que Shieru ne le lui aurait pas dit. Par contre, sur ce coup là, il pourrait très partager cela avec lui et lui seul. Mais pour l'heure,

"Que cela reste entre nous mais... Je vagabondais dans les jardins, et me suis mis à courir pour... Pour échapper à une domestique..."

Après quoi, il toussota un peu volontairement, alors que "pour échapper à mes devoirs" avait failli franchir ses lèvres. Oui, il était difficile d'imaginer Shieru Phantomhive courir et habillé comme un gamin voleur des rues, mais cela était bel et bien la vérité à l'état pur. Il n'avait avoué que la partie de la question qui répondait à ce que leur valait son entrée sûrement aussi remarqué que l'homme brun en face de lui. Le comte se rendait mal compte de ce qu'il avait dit à Rywan... Sans doute aurait-il droit soit à des remontrances, soit à des moqueries. Dans les deux cas, cela n'était pas approprié à la personne qu'il était et au rang qu'il occupait. Alors, il imaginait bien le stratège restait silencieux, mais avec des pensées qui seraient peut-être trop évidentes. Shieru posa à son tour un bras sur la surface polie du bois, approchant davantage son visage. Ce qu'il allait dire était pour lui interdit.

"N'avez vous jamais souhaité vous habiller simplement, dans des vêtements qui ne vous conviennent pas mais dans lesquels vous êtes à l'aise?" Demanda le plus jeune avec un demi-sourire pour de nouveau s'enfoncer dans sa chaise. "Comme vous vous en doutez, moi oui, même si c'est rare vu que je n'en ai pas souvent le loisir, et c'est plutôt tant mieux... Mais en général, personne ne me voit vêtu comme tel."

Le regard bleuté de Shieru s'égara un court moment dans la salle à manger, voulant fuir les iris tout aussi bleu de son interlocuteur. Les tenues que les Nobles arboraient avaient beau être parfois magnifiques, elles en restaient souvent encombrantes et inconfortables même si elles étaient faîtes sur mesure, et ça, il le maintiendrait longtemps encore. Ce n'était qu'une petite facette de sa personnalité, ce qu'il appelait aussi une tare... Prendre de mauvaises habitudes n'était pas son genre, il s'en voulait à chaque fois. Son regard malgré tout calme et posé se re-concentra sur Rywan, son sourire disparut pour laisser place à du sérieux.

"Ce que j'ai dit ne doit pas sortir de cette pièce. Suis-je assez clair?" Répéta-t-il plus fermement pour être pris au sérieux.

Il ne tenait pas franchement à ce que cela finisse sur tout les toits, ne voulant pas paraître idiot aux yeux si exigeants des personnes de son rang. Mais à ce moment là, il réussit à se surprendre lui-même.

Rywan n'avait jamais eu vraiment conscience de ce qu'il pouvait dire et de ce qu'il ferait mieux de garder pour lui. Il était vrai que certaines questions ou remarques lui semblaient parfois tout à fait correctes, mais pour autant il n'avait pas le 'droit' de les dire à haute voix. Pourquoi? Ça..., question de pudeur, de politesse ou même par simple précaution. Il y avait des sujets qu'on devait éviter d'aborder avec n'importe qui parce qu'ils pouvaient être douloureux : la famille en faisait parti, par exemple. Parce que ne connaissant pas la personne en face de soit, on ne pouvait pas savoir si c'était quelque chose de sensible et douloureux. Ensuite il y avait des questions ou des remarques que la politesse ne tolérait pas. On ne pouvait pas dire à quelqu'un qu'on trouvait sa tenue hideuse, que sa coiffure était mal faite ou même que ce n'était pas une agréable compagnie. Ça pouvait bel et bien faire hypocrite que de taire tout cela et de sourire, mais ce n'était qu'une question de politesse. Objectivement, dire à quelqu'un que sa compagnie est insupportable ne changera en rien son comportement et ne fera que le blesser. Donc c'était inutile. De même qu'il était seulement méchant de dire à une Dame que sa robe était laide : ça ne tenait qu'aux goûts d'une seule personne, et lui en faire la remarque ne ferait que l'humilier. Toutes les remarques à visée simplement méchantes étaient donc à proscrire. Et pour finir, il avait apprit que certaines choses ne se disaient pas. Voilà tout. Sans explications, sans rien. Ça ne se disait pas parce que ça ne regardait que la personne en question, parce que ce n'était pas quelque chose de sûr, parce que..., parce que plein de choses, en fait. En ce moment même, alors qu'il regardait distraitement la table, la fenêtre et le jeune garçon qui s'était assis en face de lui. Comme il l'avait dit 'si ce n'est pas trop indiscret'. C'était le moins qu'il pouvait faire avant de lui poser la question, après tout. Simple politesse. Si Shieru Phantomhive avait jugé que ça l'était de toute façon, il ne lui aurait pas répondu. D'ailleurs Rywan se demandait si ce n'était pas trop indiscret, justement. La question lui avait presque échappé, disons que ça avait été plus fort que lui. Une indiscrétion de toute façon. Mais il se demandait bien ce qui avait pu pousser le garçon à l'unique œil bleu à s'habiller..., et bien, de la sorte. Le jeune homme aux longs cheveux noirs avait bien quelques hypothèses, mais rien ne valait la vérité-ou quelque chose y ressemblant-sortant de la bouche du principal intéressé. Plutôt que de se demander durant des heures quelque chose, le stratège avait toujours préféré aller vérifier de vive voix ce qu'on lui disait. Dans tout les cas s'il ne voulait pas en parler, il ne le forcerait pas à lui expliquer. Ça ne le regardait pas, après tout.

"Que cela reste entre nous mais... Je vagabondais dans les jardins, et me suis mis à courir pour... Pour échapper à une domestique..."

Bien. Rywan pouvait dire officiellement après que le Comte ait prit la parole qu'il ne s'attendait pas à ce genre de réponse. En fait il ne s'attendait à rien en particulier, à bien y réfléchir : il s'imaginait déjà mal le garçon dans cette tenue, alors trouver la raison pour laquelle il s'était habillé de la sorte...Cela étant il ne doutait pas le moins du monde de ce qu'il venait de lui dire, pour le coup. De un parce que le Stratège détestait devoir remettre la parole de tout le monde en doute sans raison, et de deux parce qu'il voyait mal le Cousin de la Princesse aller inventer quelque chose de ce type. Vagabonder dans les jardins..., et essayer d'échapper à une domestique. Pour un peu le Stratège se serait mis à rire. Le jeune garçon en face de lui avait beau avoir l'air jeune, son air sérieux et son attitude très mature prenaient en général le pas sur son apparence. Du coup l'imaginer en train de courir pour échapper à une servante..., oui, ça avait quelque chose de comique, il devait bien l'avouer. Mais après tout oui, il était encore très jeune. Et à son âge Rywan était plus que turbulent, il en était sûr. Comme la plupart des enfants, finalement : à cet âge là bien des gens voulaient s'amuser, et rien que s'amuser. Ça passait avec le temps. Et si le Stratège n'avait pas vécu toute sa vie au château, il se doutait bien que ce devait être plus difficile pour les enfants de Nobles de s'amuser comme ils l'entendaient, parfois. Enfin, il imaginait.

Rywan continua de sourire, se redressant légèrement. Le but n'était pas qu'il s'affale il-ne-savait-trop-comment sur la table, n'est-ce pas.

"N'avez vous jamais souhaité vous habiller simplement, dans des vêtements qui ne vous conviennent pas mais dans lesquels vous êtes à l'aise? Comme vous vous en doutez, moi oui, même si c'est rare vu que je n'en ai pas souvent le loisir, et c'est plutôt tant mieux... Mais en général, personne ne me voit vêtu comme tel."

Rywan fit mine de réfléchir un court instant. S'habiller simplement? A vrai dire il n'y pensait guère souvent..., il ne s'habillait pas de manière très compliquée à l'accoutumée, juste 'bien'. Mais il n'était pas Noble, simplement un militaire très haut gradé ; il n'avait pas les même problèmes que ces derniers. Et une fois encore, il n'avait pas passé sa vie au château, et s'il faisait parti d'une famille aisée elle n'était pas Noble pour autant. Il trouvait plutôt qu'il avait une chance incroyable de pouvoir se considérer comme quelqu'un d'important alors qu'il aurait tout aussi bien pu rester 'personne'. Sans titre de Noblesse, avec un travail mais rien de particulièrement intéressant. Il fallait remercier le Ciel de lui avoir donné une telle capacité de réflexion, et ses parents de l'avoir aidé à la développer. Sans être Noble, riche ou sans avoir de capacité particulière on n'allait guère loin dans la vie. Mais pour l'heure, il comprenait parfaitement le jeune garçon en face de lui : ça ne devait pas être agréable tout les jours de s'habiller comme quelqu'un de son rang. La simplicité était parfois bien préférable et plus agréable, même si elle ne siait pas à quelqu'un du rang qu'on occupait. Lui-même parfois se surprenait à penser que sa vie aurait été diablement plus simple et moins prise de tête s'il s'était occupé d'un petit commerce quelque part. Dès qu'on avait des responsabilité, la pression augmentait significativement.

Rywan haussa légèrement un sourcil quand le garçon précisa avec un sérieux certain que tout cela ne devait pas sortir de cette pièce. Et cela, en revanche, lui arracha un nouveau sourire, un peu plus prononcé que celui qu'il arborait précédemment. Il se doutait bien qu'il ne serait pas agréable pour son interlocuteur de savoir qu'il allait aller répandre ce genre de choses un peu partout.

«Ne vous en faites pas, aller répéter ça ne m'apporterait pas grand chose, répondit-il en faisant un signe évasif avec son bras, sans cesser de sourire pour autant. Je n'ai pas pour habitude d'aller commérer à tort et à travers, de toute façon. Mais si vous voulez mon avis, vouloir vous habiller comme vous l'êtes n'a rien de honteux. Je ne suis pas issu de la Noblesse, mais je pense qu'à votre place ça me serait arrivé plus que régulièrement...»

Rywan prit un air presque affligé et haussa les épaules en signe de dépit.

«Malheureusement il paraît que j'ai passé l'âge de faire ce genre de choses..., ce qui est tout-à fait affligeant, entre vous et moi. Si ça ne tenait qu'à moi j'aurais aimé avoir douze ans éternellement.»

Ce qui était vrai. Douze ans, c'était un âge qui lui plaisait bien. Assez vieux pour réfléchir par lui-même et prendre des décisions, assez jeune pour s'amuser comme il l'entendait. A douze ans on n'attendait encore rien de lui, si ce n'était de réussir dans la vie et d'être heureux-chose qu'il avait faite, de son point de vue. De plus à cet âge là il pouvait encore faire des idioties dans le seul but de faire des idioties, ou pour dérider sa sœur ainée. Oui, quelque part vivre éternellement cette année là lui semblait être une option assez intéressante, même s'il savait que c'était impossible. Quand il y pensait, sa sœur devrait avoir vingt-deux ans, maintenant. Et pourtant le peu de clichés qu'il avait d'elle dataient pour les derniers de ses dix-huit ans. Ça lui donnait un peu l'étrange impression d'avoir une sœur jumelle partie quelque part, dans un pays voisin. Elle aurait dix-huit ans pour toujours, et il serait bientôt plus âgé qu'elle. Lui qui avait toujours rêvé de la rattraper...

Pour ça, il ne comprenait pas l'attitude du jeune garçon en face de lui. Lui avait environ douze ans-s'il se souvenait bien-et agissait comme un adulte, à peu de choses près. Lui faisait le contraire, dans une certaine mesure. Bien sûr il était d'un extrême sérieux quand la situation l'exigeait, et le fait même qu'il sache quand arrêter et jusqu'où il pouvait aller faisait de lui un adulte responsable-ou presque. Le jeune homme aux cheveux sombres ne pouvait pas s'imaginer que ce garçon en face de lui ne veuille réellement raisonner et agir comme un adulte. Ou même simplement qu'il ne fasse que ça ; le seul fait qu'il fasse ce genre de choses de temps en temps faisait de lui un enfant.


«Vous ne devriez pas exiger tant de vous-même, répondit-il avec un léger sourire- moins marqué cependant-chassant toute idée négative ou souvenir parasite de son esprit. Je suis sûr que votre entourage vous en demande bien moins.»

D'apparence, Shieru semblait être un jeune adulte dans un corps d'enfant, mais malgré tout, perdu dans un monde dont il ne comprenait qu'une infime partie. Parce que personne n'était habitué à voir quelqu'un d'aussi jeune que lui dans la cour des grands, et lui-même avait réussie à savoir reconnaître ce genre de personne. Et à ce niveau là, il y en avait pour tout les goûts. Le type le plus connu était celui qui n'arrivait pas à le tolérer, le sous-estimé trop vite, et lui parlé comme si il était un idiot ou pas du tout, en faisant mine de l'ignorer. C'était ceux là qui amusait le plus le garçon aux cheveux bis tellement il les trouvait pathétiques alors qu'ils semblaient nobles et forts aux yeux des autres. Mais il y avait aussi ceux qui essayaient de faire un effort sans le rabaisser, à réfléchir longuement sur les mots à utiliser au point que les rôles s'inversaient et que Shieru se sente le moins bêta des deux. Avec le temps, il s'y était fait sans avoir réellement le choix, à ne pas chercher les problèmes qu'il pourrait causer inconsciemment et plutôt à essayer d'en tirer profit. Parce qu'il avait appris de lui-même à se taire quand il le fallait, à garder au fond de lui ce qu'il pensait et ressentait, il faisait parti de ces personnes qui ne parlent pas mais réfléchissent. À force, le Noble en était venu au fait que absolument personne dans cet univers ne pouvait le comprendre. À quoi bon dire les choses qui le tracassait à quelqu'un qui ne le comprendrait jamais. Il n'avait rien à y gagné mais il voyait là plusieurs dizaines de risques qui pouvait le mener à sa perte. Et après tout, il n'en éprouvait pas tant que ça le besoin et avait d'ailleurs du mal à imaginer que pour certains, cela relevé de l'indispensable. Se confier n'était pas utile de son point de vue. Parler de ses problèmes à quelqu'un que l'on pense digne de confiance ne mènera à rien, cela ne les résoudra pas. Oui, en résumé, Shieru gardait tout pour lui car l'expliquer aux autres serait une perte de temps en plus d'un risque énorme. Parce qu'on ne peut pas vivre avec un secret, qu'il nous concerne directement ou pas.
Après son aveu, l'aristocrate avait décidé de ne pas baisser le regard face à son interlocuteur et de l'observer sans aucune émotion apparente. Il admettait qu'il était fautif et que ce comportement était loin de l'idée que l'on se faisait de lui. À ce moment là, il n'aurait pas été surpris que Rywan se permette de lui faire un peu la leçon, il l'aurait accepté sans broncher tellement il aurait été d'accord avec ça. Mais en le voyant sourire en se redressant d'avantage sur sa chaise, Shieru crut durant une seconde qu'il avait loupé un épisode. De réputation, le jeune homme aux longs cheveux sombres était quelqu'un de tout à fait sérieux dans sa profession, et ne dévoilait son véritable caractère beaucoup plus sympathique seulement en dehors des situations qui l'exigeaient, du fait que voir son sourire n'était pas si étonnant, ou du moins, pas inhabituel. Il avait l'air de prendre ça plutôt à la légère, contrairement à son cadet qui voyait le mal partout et faisait des montagnes avec des tas de taupe. D'accord, ça ne le touchait pas le moins du monde et donc s'y investir sérieusement n'était pas obligatoire pour lui, mais une chose était sûr, c'est qu'il n'y voyait pas le mal. Le plus jeune des deux ne chercha même pas à imaginer ce à quoi son interlocuteur pouvait bien penser. Le benjamin trouvait maintenant que la question qu'il avait posé ensuite avait sonné comme un espoir, essayant de se rassurer qu'il n'était pas le seul à faire ça. Hors, ce n'était pas du tout de ses intentions, selon lui en tout cas, il avait demandé ça par simple curiosité, et parce qu'il savait que pour ce genre de chose, peu de gens lui aurait répondu favorablement, vu dans quel lieu elle était posée. Mais pourtant, Rywan Lie lui semblait quelqu'un de tout à fait honnête et qui n'aurait pas honte de le lui dire. Si Shieru lui avait fait part de son petit secret aussi facilement, c'est parce qu'il se doutait que le stratège était loin d'être quelqu'un de méchant qui cherche problème au personne qui l'entoure, et encore moins si il s'agit du petit cousin de la reine. Le jeune morien ne connaissait pas le tacticien aussi bien qu'il l'aurait voulu, mais il ne doutait pas de sa fidélité, mais un avertissement n'est jamais vain, donc... Pourtant, à ce dernier qui était proche de la menace, le sourire du jeune homme assit en face de lui s'étira d'avantage, mais en rien mauvais.

«Ne vous en faites pas, aller répéter ça ne m'apporterait pas grand chose. Je n'ai pas pour habitude d'aller commérer à tort et à travers, de toute façon. Mais si vous voulez mon avis, vouloir vous habiller comme vous l'êtes n'a rien de honteux. Je ne suis pas issu de la Noblesse, mais je pense qu'à votre place ça me serait arrivé plus que régulièrement...» Lui épondit-il contre toute attente.

Ahan... Le Noble pencha légèrement la tête sur le côté, ne sachant trop quoi penser de cette réponse. Peut-être que Rywan n'était pas une référence et ne faisait pas parti de la classe dans laquelle Shieru était né, mais en attendant, qu'importe si son enfance avait été riche en écart de conduite, il avait plutôt réussie sa vie, du moins au niveau professionnel de ce que savait le borgne. Et quoi qu'il puisse dire, le garçon aux cheveux grisâtre éprouver de la honte à l'égard de la réaction puérile qu'il avait eu. Pourtant, le dernier Phantomhive n'avait jamais eu de problème avec le règlement et les codes mis en place depuis longtemps au sein de la Noblesse... Maintenant qu'il y pensait, il avait fait très peu de bavures jusque là... 'Les lois sont faites pour ne pas être respectées' ne lui avait jamais rien dit. Il suffisait qu'on le lui dise une seule fois pour qu'il cesse et ne recommence jamais, sauf exception. Mais d'après Rywan, c'était tout à fait normal, vu que lui même l'aurait fait souvent si il avait été dans son cas...

«Malheureusement il paraît que j'ai passé l'âge de faire ce genre de choses..., ce qui est tout-à fait affligeant, entre vous et moi. Si ça ne tenait qu'à moi j'aurais aimé avoir douze ans éternellement.» Continua le jeune homme aux cheveux noirs, prenant exprès un air consterné.

Shieru se répéta ses paroles une fois de plus dans sa tête, avant d'acquiesçait avec un léger sourire, toutefois un peu fataliste, mais qui disparu trop rapidemment. Rywan était comme sa fiancée, tout semblait simple quand c'était lui qui le disait. Hors, avoir douze ans n'était pas si facile que voulait bien le croire son ainé. Toutefois, le jeune garçon ne se permit pas de le lui dire, parce qu'il s'était rendu compte qu'il était un cas particulier des enfants de cet âge, et le jeune Lie aurait utilisé cet argument pour le contre-dire. Il ne s'autorisait aucun faux-pas mais en faisait quand même. Le garçon à l'unique œil saphir ne s'était jamais dit qu'il perdait les plus belles années de sa vie, parce que celles-ci étaient déjà en pleine transition. Si une force supérieur lui aurait demandé si il voulait échangé son nombre d'année avec celui du stratège, il l'aurait accepté, mais seulement pour exaucer un rêve dit à la légère par ce dernier, parce qu'au fond, ce n'était pas une dizaine d'années de plus qui changerait quoi que ce soit de son point de vue. Rywan aurait voulu rajeunir pour recommencer une vie qu'il trouvait peut-être plus facile mais tout autant amusante, Shieru n'en savait rien, mais dans son cas, c'était totalement impossible. Parce que le cousin de la reine se sentait incapable de rire de nouveau de bon cœur, de sourire franchement, d'être heureux pour un rien, d'éprouver autre chose que de la méfiance et parce que malgré les apparences, il ne trouvait personne à qui s'attacher... Tant de chose qui faisait que ses 'belles années' étaient loin derrière lui et ne referaient jamais surface. Il était maintenant dans une vie qu'il trouvait sans saveur et qu'il vivait pour faire plaisir aux autres... Ce n'était pas généralement comme cela que l'on imaginait un marchand de jouet.

«Vous ne devriez pas exiger tant de vous-même. Je suis sûr que votre entourage vous en demande bien moins.» Lui dit le brun toujours souriant mais un peu plus sérieux cette fois-ci pour lui faire comprendre qu'il ne se moquait en aucun cas de lui.

Cette remarque lui fait l'effet d'une douche froide. Son regard bleuté trahissait son étonnement instantané alors qu'il ne savait plus où le diriger. Si il faisait tout ça, ce n'était pas pour son entourage. Sebastian, Elizabeth et Amy, qu'il sache, ils s'en moquaient bien des efforts qu'il faisait, c'est juste qu'à part peut-être la jeune Middleford, personne ne l'avait jamais connu comme un enfant normal qui ne pensait qu'à jouer et pleurer pour des choses futiles et sans grand intérêt. Pour tous, Shieru Phantomhive était une personne froide et parfois ennuyeuse qui ne pensait qu'à ses principes. Alors si il faisait tout cela, ce n'était pas pour les personnes qui l'entouraient, ni même pour lui et s'autosatisfaire, il le faisait pour ses parents décédés. Ces derniers voulaient qu'il reprenne l'affaire familiale et fasse sa vie avec la fille des Middleford, aussi, il s'était fixé ses objectifs qui pour l'instant, il remplissait à merveille. Mais qu'on lui dise qu'il en faisait trop, il ne savait pas comment faire face à ça, pensant que ce problème ne ferait jamais surface dans sa vie. Il faisait simplement de son mieux, qu'importait les conséquences.
Il ferma sa paupière un moment, essayant de reprendre son calme olympien et de se concentrer uniquement sur le faible tic-tac de l'horloge de la salle à manger. Il semblait plus apaisé une fois qu'il la rouvrit, reportant à nouveau son attention sur Rywan, le visage à la fois désolé et confus.

"Merci." Commença-t-il doucement, car après tout, le stratège n'avait que de bonnes intentions à son égard. "J'ignore ce que les autres pensent de moi, et franchement, je préfère ne pas le savoir parce que je ne suis pas suffisamment audacieux pour cela... Mais il est de toute façon trop tard. Si je changeais maintenant, je ne ferai que décevoir tout le monde."

À la seconde où Shieru Phantomhive avait répondu à Rywan Lie, le jeune aristocrate eu comme une pincement au cœur. Il manqua une inspiration et le sentit passer plutôt durement. Cette réaction n'avait rien à voire avec un quelconque problème de santé, Shieru n'en avait heureusement aucun. Il avait plutôt éprouver une sensation qui nous fait accélérer le rythme cardiaque durant quelques secondes puis qui fait comme si il ne s'était rien passé. Tout comme lorsque que l'on pense sérieusement à la mort. Étant vivant, il est difficile de se dire que l'on disparaîtra un jour, mais lorsque l'on y réfléchit pour de bon, à ce destin inévitable, une soudaine panique s'empare de nous. Ce qu'avait ressentit le cousin de la princesse à l'instant était à peu près similaire. Sauf que le jeune garçon y avait déjà suffisamment pensé durant trois terribles et longues années pour ne plus ressentir grand chose... Cependant, ses propres paroles lui firent l'effet d'une douche froide. Son attitude, sa mentalité, son physique, rien n'allait bien chez lui, ou du moins, les trois ne pouvaient s'associer en la seule personne qu'il était. Changer, dans son cas, Shieru avait changer du jour au lendemain sans que personne réellement ne s'en rende compte, à part peut-être Elizabeth. Qu'il sache, tout les habitants de ce château l'avait toujours connu tel que, le stratège en face de lui n'échappant pas à la règle. Comment pouvaient-ils dire si oui ou non le noble avait bel et bien changé? Nul doute que plus de la moitié du château savait ce qu'il avait endurer... Peut-être était-ce pour ça que tout le monde ne lui faisait aucune remarque, le borgne avait une bonne raison d'être ainsi, et finalement, son comportement aurait pu être beaucoup plus catastrophique. Après un si puissant choc émotif à cet âge, Shieru aurait pu montrer des troubles du comportement, mais rien... Il ne cherchait pas à se faire remarquer pour avoir été délaissé, il restait là, calme, silencieux et songeur... Justement un peu trop, ce qui rendait son entourage mal à l'aise en sa présence, car autant ne pas se voiler la face, personne n'était vraiment à l'aise avec lui, sauf rares exceptions. Avoir mûri avant l'âge n'était donc pas un si grand avantage... Décevoir les autres. Quelque part en lui, le comte savait qu'il causait plus de peine qu'autre chose autour de lui. Une sorte de pressentiment, même en faisant de son mieux. Mais il vivait comme ça, et jusque là, n'avait jamais fait pleurer personne donc, il n'y avait pas de mal... Du moins, il le pensait.
Les poings de Shieru se serrèrent, les deux posaient sur ses genoux, mal à l'aise. Toutefois, ce fut de courte durée, vu qu'il reprit un air sérieux pour se donner une certaine contenance, ce n'était pas le moment de douter. Aussi, il croisa doucement les bras pour se donner un air digne, mais aussi pour les empêchaient de faire n'importe quoi. Il s'appuya alors d'avantage contre le dossier de sa chaise, prêt à raisonner convenablement. Son unique pupille se dirigea instinctivement vers les gestes que faisait Rywan avec ses mains, lui faisant comprendre qu'il y avait un malentendu sur la question. Le sang-bleu releva doucement le menton, intrigué. Ce dernier semblait gêné et faisait entendre un rire nerveux pour une raison qu'il ignorait. Avait-il dit quelque chose qui l'avait contrarié pour avoir droit à une telle réaction? L'incompréhension semblait régnait entre les deux jeunes hommes. La mine un peu perdue, le garçon au cheveux cendrés n'attendait qu'une justification à ceci qui ne tarda pas le moins du monde.

«Changer? Non, je veux dire, vous n'avez pas besoin de changer. Personne ne peut vous forcer à le faire de toute façon, chacun est comme il est.»

Shieru haussa un sourcil, légèrement étonné, son regard bleu nuit dans le bleu azur de son ainé. "Vous n'avez pas besoin de changer". Il avait du mal à croire ce qu'il avait entendu et se demandait encore dans les secondes qu'il suivit si il n'avait pas déformé sa phrase d'une quelconque manière lorsqu'elle était arrivé à son oreille. Mais soit, le stratège l'avait dit, voilà tout. Le cousin de la princesse ne l'avait pas pris comme un "ne changez rien, vous êtes parfait", mais plutôt dans le sens que cela n'était pas obligatoire et aucunement gênant... Or, c'est sur ça précisément qu'il avait des doutes. Il était certain que si il voulait rester tel quel, personne ne pourrait aller à l'encontre de cette décision. Shieru avait suffisamment d'autorité en ces lieux pour faire ce qu'il souhaitait de bon, ou même de mauvais. Mais heureusement pour son entourage, il était sérieux et calme, du fait qu'il ne serait certainement pas l'enfant qui causerait le plus de souci en ces murs. Oui, il était comme ça. Qu'il en soit fier ou non, c'était encore autre chose...

«Ce que je veux dire, poursuivit-il plus posément, c'est que si vos proches tiennent vraiment à vous, ce genre de choses ne fera pas baisser leur estime ou leur affection pour vous. Enfin, ce ne sont que des suppositions, je ne peux pas en être certain, bien sûr.»

Le plus jeune des deux écoutait attentivement sans mot dire. Le stratège aux longs cheveux noirs détourna sa vue vers la reste de la salle à manger. Le regard un peu vitreux du noble dériva alors de Rywan à la table. Mais il n'étudiait pas les moindre détails de cette dernière. En fait, on pouvait même se demander si il semblait la voir, car à en juger par son expression, le jeune garçon semblait l'ignorait totalement, comme si elle était transparente. Pour dire vrai, sa vision s'était égaré de sorte à ne pas gêner le stratège Lie, mais avait au final dérivé un peu sur n'importe quoi, le regard dans la vague. De toute façon, c'est ce qu'il se passait dès qu'on lui parlait de "proches". Dans ce cas là, il pensait prioritairement à trois personnes en particuliers mais tout s'arrêtait là. Et il ne voyait aucun de ces trois là lui dire franchement de changer... Même si quelque part il l'aurait souhaité en redoutant toutefois ce moment précis. On pouvait dire que ça relevait du masochisme... Mais Shieru ne l'était pas un peu quelque part? Ouiiiiiiii! Il avait tendance à se punir tout seul pour des raisons que la plupart des personnes jugeraient sans importance. Le "tu as fait de ton mieux" n'était pas dans ses registres, pour lui, c'était tout ou rien, et justement, il préférait ne rien faire du tout plutôt qu'à moitié. En faisant toutefois le maximum aujourd'hui pour ne pas le reporter à demain. C'était simplement une question de principe, ou encore d'auto-satisfaction.

«Excusez moi, mais j'ai un peu de mal à vous cerner. J'imagine que mon mode de pensée est loin du votre, ça y fait peut-être...» Reprit-il un peu confus.

Pour sûr, il était même à des années lumières du sien. Shieru n'avait jamais vu les choses sous l'angle dont le tacticien les lui montrait. Aucun doute qu'il y repenserait à nouveau ce soir. Le jeune garçon eu une sorte de gargouillement au ventre qui fit qu'il déglutit difficilement alors qu'il observait son interlocuteur souriant, ses fins sourcils gris légèrement arquaient vers l'intérieur. Ce malaise ne venait en aucun cas de lui-même, pour une fois. Mais il du admettre que les paroles de Rywan Lie l'avait touché à l'endroit qu'il pensait fermé à quiconque. Il ignorait si ce dernier faisait ça par intérêt ou simplement par gentillesse, et même si le jeune Phantomhive ne doutait pas une seconde de la sincérité du sourire qu'affichait le jeune homme, il restait méfiant sur ce sujet. Le fait qu'il connaisse le dirigeant de l'entreprise un peu plus profondément gêné le moins âgé d'eux-deux, surtout dans la tenue dans laquelle il se trouvait... Toutefois, durant un instant, en reportant une énième fois son visage d'enfant sur celui de son ainé, il en fut dérouté de ses premières intentions qui consistaient à dire merci et au revoir. Non, c'est à ce moment que Shieru aurait bien voulu montrer au stratège qu'il éprouvait une certaine sympathie à son égard, vraiment. Or, il ne savait plus comment l'exprimer autrement que par des mots soutenus accompagnés d'une expression faciale qui était la plupart du temps impassible à tout. À force, cela pouvait énervé, il le comprenait parfaitement. Mais réflexion faite, ce n'était pas si mal. Il ne tenait pas tant que ça à se faire des amis, Rywan resterait à jamais une connaissance, et il était hors de question de lui dire tout les sentiments qu'il éprouvait, et tout ce qu'il avait sur le cœur. N'étant pas quelqu'un qui adorait parler de lui et de ses problèmes personnels -pour ne pas dire détester- il n'allait pas y aller par quatre chemins. Sur le coup, Shieru chercha les mots justes pour répondre sans vouloir vexé son interlocuteur d'une quelconque manière, mais il se demanda ensuite si cela aurait ou non une répercutions. Il avait beau se sentir relativement à l'aise en compagnie de cet homme de l'armée, mieux valait ne pas devenir trop intime non plus. Il eu un petit raclement de gorge pour s'éclaircir la voix.

"Hum... Hé bien au moins, vous le dîtes à haute voix vous." Commença le comte, un peu prit au dépourvus. "Enfin, mieux vaut ne pas s'essayer à le comprendre, vraiment." Dit-il un peu évasivement, avant de reprendre. "Par là, je ne cherche pas à placer le sujet sous silence, mais effectivement, nos points de vue sont aussi différents que le jour et la nuit. Et bien entendu, c'est vous qui posséderiez le point de vue ensoleillé..."

Shieru sursauta brutalement en pensant soudainement à l'heure qu'il pourrait être. Instinctivement, sa main se posa sur la poche de son ventre dans laquelle sa montre avait l'habitude d'être. Or, elle ne s'y trouvait pas vu que les vêtements dont le garçon était vêtu n'étaient pas ceux adéquates pour y loger un quelconque objet au prix relativement élevé. Ce simple détail sans intérêt fit augmenter d'un niveau la détresse du sang-bleu. Comme un stress ajouté au fait qu'un nouveau problème fait surface alors que vous étiez sur le point d'en résoudre un. L'héritier des Phantomhive eu un soupir agacé, mais toutefois discret, qui sortit par ses narines vu que ses lèvres closes empêcher l'air d'entrer ou de sortir, formant une ligne droite, l'expression de quelqu'un qui n'a pas pu faire ce qu'il voulait. C'est alors qu'il repensa soudainement à l'horloge qui avait causé le départs des protagonistes qui se trouvaient ici avant lui. Sa pupille d'un bleu profond infini, semblable au plus profond des océans, chercha alors la mécanique, et se maudit de ne pas connaître son emplacement. Mais lorsque son regard s'arrêta sur le remarquable cadran de l'horloge, il ne parvint pas à voir l'emplacement des aiguilles tellement celles-ci se confondaient avec les multiples motifs qui la ornaient. Le cadet grinça des dents, Dieu ne l'aimait vraiment pas. Malgré ça, son regard s'adoucit en se re-dirigeant vers le stratège Lie.

"Excusez moi, mais auriez vous l'heure exacte, s'il vous plait?" Demanda-t-il, dissimulant sa soudaine contrariété.

Non qu'il cherchait à fuir le jeune homme aux longs cheveux de jais, mais Shieru ne devait pas oublier qu'il restait le jeune cousin d'Amy Grimm, et lui faire défaut serait une hérésie pour lui. On ne remercie pas les personnes qui vous accueille chez elles en les couvrant de honte, et le terme 'famille' était à mettre de côté dans le cas des deux enfants de la famille royale de Moria. Et justement, le jeune concerné devait encore rejoindre ses appartements dans une grande discrétion dans l'optique de s'y changer. Mais tout cela dépendait du temps, et même si il se découvrait malheureusement en retard, il s'en irait pas comme un voleur et ferait ses salutations au stratège comme il se doit, car sûrement qu'après ça, leurs yeux bleu se rencontreraient à nouveau à table.

Rywan n'était pas un mauvais garçon, vraiment. N'importe qui l'aurait sûrement dit comme ça, et lui-même aimait à penser qu'il était quelqu'un de plus gentil que cruel. Il était, comme tout le monde, d'un joli gris tirant peut-être plus vers le blanc : seulement pour déterminer les nuances, il n'était pas le mieux placé pour juger. Avoir un point de vue objectif sur soi était impossible tant il était compliqué de se juger coupable quand on se voyait plus innocent. Pour autant, il ne dramatisait pas. Certaines personnes dans ce monde devaient le penser fourbe et malhonnête, mais la majorité devaient tout de même être plus ou moins sûrs du contraire. En soit, c'était assez rassurant. Il n'avait jamais compris comment l'on pouvait vivre en se sachant détesté du plus grand nombre, comment on pouvait vivre dans son monde, coupé du reste, coupé des autres, à ne vouloir s'ouvrir à personne. Non, il ne comprenait pas-ce qui pouvait être considéré comme une grande première par ses amis, il en était certain. Rywan Lie était terriblement intelligent, le Stratège avait un sens de la déduction impressionnant, une capacité de mise en situation prodigieuse. Mais tout cela, ce n'était rien que de la logique. Rien que des bâtons à ranger par ordre de grandeur, rien que des flacons à placer dans le bon ordre, rien que des pensées à organiser, rien que divers éléments à remettre ensemble de manière à obtenir quelque chose de concluant. Quand Rywan avait de la matière, pour sûr qu'il pouvait en faire quelque chose : c'était sa spécialité après tout, réfléchir, comprendre, analyser, anticiper. Beaucoup de vies dépendaient de sa capacité à le faire. Mais s'il y avait bien quelque chose qu'il avait remarqué très tôt, c'était qu'aussi intelligent qu'il soit il n'était pas capable de comprendre autre chose que des équations, que des données chiffrées dans un grande tableau. Que des choses inanimées, qui ne risquaient pas de bouger ou de lui opposer une quelconque résistance. Les être vivants, eux, il ne pouvait pas les cerner. C'était impossible, il n'y arrivait pas et ce quels que soient les efforts qu'il donnait dans ce sens. Il pouvait étudier les comportements de groupes dans une situation donnée, mais ça n'avait rien de sûr, d'immuable. Et dès qu'il s'agissait de comprendre la tristesse de quelqu'un face à quelque chose, la joie par rapport à autre chose ou encore la détresse devant une situation qui, lui, ne l'effrayait pas, il se sentait perdu. Complètement inutile. C'était comme quelque chose d'insolvable, quelque chose comportement trop de données, trop de résultats plausibles pour qu'il puisse comprendre la cause de tel ou tel comportement. Jamais il n'y arriverait, mais il ne pouvait pas se faire à cette idée. Pour quelqu'un qui, comme lui, aimait terriblement ses semblables, discuter avec eux, les consoler, les faire rire, c'était à proprement parler insupportable. Sans doute était-il trop intelligent. Ça en devenait un handicap, dans son cas, comme s'il adorait les fraises mais qu'elles le rendaient malade pendant des semaines. Combien de fois lui avait-on dit qu'il ne comprenait rien à rien? Il n'avait pas pris le temps de compter. Ce qui pour lui était logique, clair et irréfutable ne l'était pas pour tout les autres. Pourquoi pleuraient-ils alors que lui ne trouvait pas cela si triste? Pourquoi riaient-ils quand lui trouvait cela pathétique? Pourquoi le frappait-il puisque lui n'aurait même jamais été énervé pour si peu?

Il ne pouvait pas répondre à ces questions. Il n'y répondrait jamais. Et ça le désolait, vraiment.

D'autant plus quand la personne en face de lui ne partageait pas son avis et qu'il le savait pertinemment. Il n'y avait qu'à regarder le visage de Shieru Phantomhive pour deviner que ce garçon et lui n'avaient pas le même point de vue sur la vie en général. Mais qui blâmer? Chaque être humain, elfique ou démoniaque avait un mode de pensée bien particulier, dicté par un nombre infini de variables. Il n'était pas mal d'être optimiste, pas mal d'être pessimiste. Pas mal d'aimer le rouge, ni d'aimer le bleu. Pas mal d'être belliqueux, pas plus que d'être peureux. Tout cela était dans la nature, et il ne connaissait pas assez son interlocuteur pour ne serait-ce que prétendre pouvoir comprendre pourquoi il était ainsi. Seulement c'était plus fort que lui, il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir comprendre. C'était dans sa nature sûrement, il ne savait pas vraiment. Et pourtant, ce n'était pas le fixer ou lui poser mille questions qui l'aideraient à savoir pourquoi il réagissait de telle ou telle manière, pourquoi il faisait ceci ou cela. C'était frustrant, réellement. D'autant plus que les personnes qui semblaient renfermées, un peu seules, peut-être un peu trop enclines à trouver les choses sans intérêt, et bien ces personnes s'attiraient inévitablement le regard du jeune homme aux longs cheveux noirs. Parce que, sans nul doute, ce genre de caractère lui rappelait à chaque fois celui de sa sœur ainée. Et qu'il était persuadé que s'il avait été plus présent, s'il avait été plus insistant, s'il avait été un meilleur frère, elle serait toujours chez lui quand il rentrait voir ses parents. Il n'était pas stupide, loin de là, et savait que quoi qu'il espère, quoi qu'il veuille, quoi qu'il pense, elle ne reviendrait jamais. Mais il ne pouvait s'empêcher de la voir en chaque personne triste et seule de ce monde, ou du moins de ce château, et à chaque fois il avait envie de secouer ces personnes en leur disant qu'il y avait toujours une solution, qu'il ne fallait abandonner en aucune façon. Non pas qu'il pensait que ce jeune homme pensait de cette façon. Non, en fait il voyait bien qu'il était très différent de sa sœur. Mais cela n'y changeait rien, il aurait aimé le comprendre et voir si tout allait bien, s'il se sentait apaisé et heureux de vivre. Au cas où. Juste pour savoir. Le but n'était certainement pas de le mettre mal à l'aise, pas plus qu'il n'était de s'attirer les foudres du jeune Comte. Non, bien évidemment. Mais s'il était doué pour les discours, comme toute personne importante de ce monde, il n'était pourtant pas très doué pour exprimer les choses. Il ne savait pas comment dire ce qu'il tenait à dire, il n'arrivait pas vraiment à déterminer ce qu'il pouvait dire et ce qu'il devait taire, ce que l'autre voulait entendre et ce qui l'aurait inévitablement énervé. De fait il craignait constamment les malentendus, et vérifiait régulièrement qu'ils se comprenaient, ne serait-ce qu'à peu près. En regardant le garçon à l'unique œil bleu, en face de lui, il ne put s'empêcher de se demander si ce qu'il avait dit l'avait blessé d'une façon ou d'une autre. Si c'était le cas, le Stratège doutait fort qu'il le lui aurait fait savoir. Il y avait beaucoup de personnes dans ce château qui avaient reçu une éducation irréprochable. Beaucoup de personnes qui savaient très bien jouer la comédie et qui n'hésitaient pas à être hypocrite quand la situation le demandait ou, tout simplement, quand ils en avaient envie. De fait il était peu probable que si une de ses paroles l'avait offensé, le garçon le lui aurait dit en face. Non, certainement que non. Lui même ne l'aurait pas dit, se serait contenté de sourire et d'acquiescer distraitement. Ces masques que la politesse et les codes le forçaient de porter étaient fatiguant et usés jusqu'à la corde, mais ils dissimulaient toujours aussi bien ce qu'il y avait à cacher. Il fallait simplement ne les mettre qu'en cas de besoin, ne pas oublier de les enlever, ne pas les accumuler. C'était ainsi que l'on finissait par ne plus savoir qui on était, et Rywan ne tenait pas à finir ainsi un jour. C'était ainsi qu'il fallait rester, n'est-ce pas? Aussi vrai que possible.

"Hum... Hé bien au moins, vous le dîtes à haute voix vous. Enfin, mieux vaut ne pas s'essayer à le comprendre, vraiment. Par là, je ne cherche pas à placer le sujet sous silence, mais effectivement, nos points de vue sont aussi différents que le jour et la nuit. Et bien entendu, c'est vous qui posséderiez le point de vue ensoleillé..."

Le jeune homme tapota légèrement la table avec ses ongles, gardant ses yeux posés sur son interlocuteur, ne se voulant pas trop insistant cependant-parce que Dieu, qu'il était désagréable d'être dévisagé! A voix haute? Il retint une grimace en l'entendant dire cela, craignant de ne pas avoir été correct ou de l'avoir blessé d'une manière ou d'une autre. Ce qui était dit était dit, certes, mais cela n'empêchait malheureusement pas de s'en vouloir pour les choses que l'on avait pu faire, aussi inutile le procédé du regret soit-il. Il sourit cependant, acquiesçant en réponse à ce que le cousin de la Princesse venait de lui dire. Le jour et la nuit..., c'était une jolie comparaison, il était vrai. Sans nul doute avait-elle plus qu'un fond de vérité, il devait l'admettre. Ne pouvait-il pas le comprendre pour cette simple raison? Peut-être. Il ne s'était jamais dit que les choses fondamentalement opposées n'étaient pas faites pour être réunies, il pensait même que mises bout à bout elles devaient former un cercle infini passant de la haine à l'amour en passant par tout les sentiments qui se trouvaient entre les deux, par exemple. Il en allait de même pour la nuit et le jour, qui se suivaient tout en restant parfaitement opposés dans les cieux. La nuit côtoyait l'Aube et le Crépuscule, tout comme le Jour. Il fallait simplement trouver les points d'accroche. Rywan s'appuya contre le dossier de sa chaise, songeant qu'il n'irait pas plus loin pour autant. Shieru Phantomhive, de son avis et quoi qu'il en dise, ne tenait pas à dire quoi que ce soit d'autre le concernant-ce qui était par ailleurs tout à fait compréhensible. Il aurait pu continuer tout de même, mais ça aurait été terriblement désagréable, impoli et irrespectueux de sa part. Il avait appris au fil du temps que, parfois, laisser les personnes tranquilles était la meilleure chose à faire. Surtout quand eux-même en manifestaient visiblement l'envie.

«Le jour et la nuit? C'est quelque peu radical. Même si pour l'instant mon point de vue est au beau fixe, en effet, à la perspective d'un bon repas et d'une longue nuit de sommeil. Enfin. Je ne compte pas vous importuner plus longtemps, de toute façon.»

Rywan ponctua sa réponse d'un sourire, ne tenant pas à ce que son interlocuteur pense qu'il l'avait froissé d'une quelconque manière-ce qui n'était nullement le cas, de toute façon. Oh, il allait tout de même bientôt être l'heure du repas, maintenant qu'il en parlait. Huit heure, restait une demi-heure à attendre, vraisemblablement. [Parce qu'Aeon, je ne peux pas dire qu'ils mangent à neuf heures! Incohérence, mais je n'ai pas le choix.^^'] Les premières personnes arriveraient sans doute dans peu de temps, soucieux de pouvoir commérer tranquillement avant l'arrivée des autres Nobles et grandes figures de ce château.

"Excusez moi, mais auriez vous l'heure exacte, s'il vous plait?"

Rywan sortit de sa rêverie et posa de nouveau ses yeux bleus sur son interlocuteur, l'air de ne pas avoir compris la question. Après quoi il détourna son regard vers la grande pendule accrochée dans la Salle à Manger. L'heure exacte...

«Il est un peu plus de huit heure, répondit-il avec son habituel sourire. Oh, il est vrai que vous vouliez aller vous changer avant le repas, n'est-ce pas? J'imagine que vous aurez assez de temps, tout de même. Vous pouvez vous estimer heureux de ne pas être une jeune fille, j'imagine assez le temps qu'il vous aurait fallu pour changer, le cas échéant!»

Rywan rit légèrement, se redressant sur sa chaise. Lui était déjà tout à fait près, tout ce qu'il y a de plus près, et comptait bien rester ici jusqu'à ce que les autres arrivent. Se changer ne lui aurait été d'aucune utilité, il était coiffé et tout à fait présentable. Et aller se promener-comme la Princesse, le Clown et le Conseiller-quand il était déjà exténué n'était pas la meilleure idée qu'il aurait eu.

Non, rester là lui semblait être la meilleure option.